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«J’ai voué ma vie à la peinture de ma défunte épouse»

Depuis sept ans, Pierre André Devayes consacre presque tout son temps à faire connaître et exposer les tableaux de sa femme Janine, emportée par le cancer..

Article de Nathalie Getz – 3 mai 2012

Je me souviens parfaitement du jour où j’ai rencontré Janine

J’avais 42 ans, comme elle. Nous étions venus chacun seul à une soirée et ça a été le coup de foudre immédiat. J’ai aimé ses yeux rieurs, la lumière qui émanait d’elle. J’ai aimé tout son être! Cette femme était un soleil, elle avait un cœur immense, on voyait qu’elle n’avait rien à cacher. Même plus tard, à l’agonie, terrassée par la maladie, elle est restée lumineuse. Le cancer a peut-être réussi à détruire son corps, mais pas son âme.

Au moment où nous nous sommes rencontrés, Janine venait d’arrêter une longue carrière de danse classique. Il lui arrivait souvent de dessiner ou de peindre. Lorsque j’ai vu ce qu’elle faisait, j’ai tout de suite réalisé qu’elle avait un talent fou. Je l’ai encouragée à se consacrer totalement à sa peinture. A l’âge de 43 ans, elle s’est donc lancée dans un cheminement artistique.

Nous avons organisé notre vie pour qu’elle ait tout le temps nécessaire à sa création

Nous vivions une partie de l’année en Andalousie où je possédais une petite maison, ne rentrant en Suisse que quelques mois pour travailler et gagner de quoi vivre simplement le reste du temps. Nous vivions chichement. Mais quelle liberté! En Espagne, nous étions maîtres du temps et de notre destin.

C’est une des plus belles choses qui soit, être libre de son temps! Nous pouvions nous balader, nous baigner, contempler lamer à notre guise. Pendant qu’elle peignait, je m’adonnais souvent à mon activité favorite: la pêche. Lorsqu’elle avait terminé une œuvre, elle me la montrait et nous en faisions ensemble la critique. Si une peinture ne lui plaisait pas, elle la déchirait sans états d’âme. Je l’aidais à tendre ses toiles sur des châssis, un travail très délicat J’étais aussi à ses côtés lors de ses premières expositions en Suisse, en France et en Espagne.

Nous nous sommes mariés onze ans après notre rencontre

Le 24 juillet 1999. Un des plus beaux jours de ma vie. Se marier ne changeait pas grand-chose dans notre relation, mais Janine y tenait beaucoup car elle voulait porter mon nom dont elle était très fière. C’est peu de temps après notre mariage que nous avons appris la terrible nouvelle. Un après-midi, Janine a eu d’atroces maux de ventre. Elle était persuadée qu’elle avait mangé quelque chose qui ne passait pas. Mais à l’hôpital, les médecins ont diagnostiqué une tumeur qui, selon eux, était déjà présente depuis des années sans qu’aucun symptôme ne se soit manifesté jusqu’alors. Janine a dû se faire opérer d’urgence.

Les cellules malignes s’étaient déjà infiltrées partout, il était trop tard…Il n’y avait plus grand-chose à faire. Les oncologues lui ont donné encore cinq ans à vivre. La nouvelle était si violente que, pour la première fois de ma vie, je me suis évanoui en réalisant toute l’horreur de la situation.

Et elle, elle me disait: «Ne t’en fais pas, grand chat»

C’est ainsi qu’elle m’appelait toujours… «Je vais m’en sortir!» Nous étions déterminés à donner tort à la médecine. Nous sommes revenus vivre en Suisse pour que Janine puisse être soignée correctement. Pendant cinq ans, nous avons absolument tout essayé, même des traitements qui n’étaient pas encore sur le marché. Nous luttions de toutes nos forces mais rien n’y faisait, la maladie s’en fichait et continuait à faire son chemin. Durant tout ce temps, je suis resté à ses côtés. J’étais avec elle à l’hôpital, lui tenant la main durant les chimiothérapies. Je me suis battu comme un fou, comme si c’était moi qui étais malade.

Malgré ses souffrances, Janine a continué à peindre, Alors qu’à ses débuts elle peignait de manière très spontanée et impulsive, ses œuvres sont devenues plus sereines. Elle s’est calmée. Elle tenait à ce que ses tableaux restent un délassement pour ceux qui les regarderaient. Pas question pour elle de transmettre ses états d’âme dans ses peintures. Et aujourd’hui, lorsque je les vois, je suis toujours stupéfait par ce génie et ce talent! Ses tableaux transforment et purifient celui qui les contemple!

Janine a peint jusqu’à la fin, même si je devais la soutenir pour qu’elle tienne debout

Lorsqu’elle est partie au mois de mai 2005, cela a été terrible. D’autant plus que ma mère est décédée quelques heures plus tard. Coup sur coup, j’ai perdu la femme qui m’a donné la vie et celle qui donnait un sens à ma vie. C’était horrible.

Une des choses qui m’a aidé à survivre, ce sont les œuvres de Janine. Grâce à elles, j’ai l’impression de ne l’avoir jamais vraiment perdue. La vie continue, j’ai fait mon deuil. Aujourd’hui, c’est sa peinture qui compte et j’ai la chance inouïe de me retrouver au milieu de tous ses tableaux réunis. J’ai réussi à en regrouper une quarantaine pour cette exposition. C’est un immense travail, j’y consacre presque tout mon temps. Malheureusement, Janine n’est plus là pour critiquer mon accrochage. Lorsque j’ai dû décider de la disposition des tableaux, j’étais perdu, je ne savais pas comment faire. Mais soudain, j’ai vraiment eu la sensation qu’elle était là pour me guider, tout est devenu évident.

Son œuvre comporte près de 140 tableaux que je rêve de pouvoir regrouper un jour

J’ai déjà fait une exposition en 2010 à Martigny, j’ai écrit un livre sur sa peinture et je compte bien ne pas m’arrêter là! J’aimerais que beaucoup de gens puissent voir ce qu’elle a fait. Ces tableaux ne doivent pas rester cachés, je suis prêt à aller jusqu’à Paris, Londres ou Tokyo! J’aimerais aussi refaire un beau livre illustré sur ses œuvres. C’est une sorte de mission, un sacerdoce. Si j’arrête, tout cela disparaît!»

Janine Faisant-Devayes
Exposition à Sion, à la Galerie de la Grenette (Grand-Pont24).
Jusqu’au 13 mai 2012. Du mercredi au dimanche de 15h à 18h30 (le vendredi également de 10h à 12h).
Infos: 079 514 85 10. www.lagrenette-sion.ch

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